Le Garde REUTER Edmond est né à CHARENCY-VEZIN,
canton de Longuyon (en Meurthe et Moselle) le 22 juillet 1922, fils d’Eugène et
de Juliette Augusta LAURANT, il est célibataire quand il s’engage pour 3 ans à
l’Ecole de la Garde de GUERET dans la creuse le 09 mai 1944.
L’élève Garde REUTER porte le numéro de matricule
n°9029, 2ème stage au 4ème escadron (capitaine SECHAUD,
peloton du lieutenant DOISON) le 19 mai 1944. Le 7 juin 1944, l’élève Garde
passe aux Forces Françaises de l’Intérieur de la Creuse (chef d’escadron
CORBERAND).
Il est fait prisonnier de guerre le 11 juin 1944,
au combat de PIERREFITTE, commune de JANAILLAT (Creuse), il sera interné
successivement à LIMOGES (Haute Vienne)
puis à COMPIEGNE (Oise) le 12 juin 1944.
Il est embarqué à bord du dernier train de
déportés partant de COMPIEGNE, à destination du camp de concentration de
BUCHENWALD puis de GANDERSHEIM
(Allemagne) le 17 août 1944. Il est titularisé Garde le 09 novembre 1944.
Il est décédé des suites de déportation à
LUISENHEIM – hôpital de BIR-HAKEIM (Allemagne) le 20
juin 1945.
En 1960, il est décoré à titre posthume de la
médaille militaire, de la croix de guerre de 1939-1945 avec palme et de la
médaille de Résistance Française.
Il est cité à l’ordre de l’armée (à titre
posthume) en 1960 : « Magnifique patriote. Arrêté pour faits de
résistance le 11 juin 1944, a été interné jusqu’au 16 août 1944. Déporté le 17
août 1944 dans un camp de concentration, est mort glorieusement pour la France
le 20 juin 1945, des suites de mauvais traitements ».
Son nom est gravé sur le monument aux morts de son
village natal à CHARENCY-VEZIN, de l’Ecole de la Garde (caserne Bongeot) à GUERET, de la résistance à GUERET, de la
déportation à PONTARION.
Sa dépouille est inhumée dans le cimetière de CHARENCY-VEZIN.
La 406ème
promotion d’élèves gendarmes de l’école de gendarmerie de Chaumont a souhaité honorer
la mémoire de ce garde exemplaire en le choisissant comme parrain.
Le Garde REUTER Edmond est né à CHARENCY-VEZIN,
canton de Longuyon (en Meurthe et Moselle) le 22 juillet 1922, fils d’Eugène et
de Juliette Augusta LAURANT. Voulant échapper au
service du travail obligatoire en Allemagne qui fatalement un jour arriverait
pour les jeunes gens de sa classe, il contracta un engagement à l’Ecole de la
Garde à Gueret, qui était en fait une école de cadres
destinés à la « Garde Mobile » qui est devenue « Gendarmerie
Mobile » de nos jours. Nous étions le 9 mai 1944 et Edmond avait 22 ans.
Les jeunes qui s’engageaient dans
cette école venaient pour une grande majorité des écoles d’enfants de troupe.
D’autres avaient préparé Saint-Cyr qui n’existait plus du fait de l’occupation.
Ces gars là voulaient absolument « servir » et ils pensaient qu’ une telle unité leur permettrait de le faire en toute
dignité. Enfin , s’engageaient dans cette unité ,
ceux qui craignaient d’être recrutés pour le S.T.O.(
Service du travail obligatoire)
C’est en mai 1944 que je fis la connaissance
d’ Edmond. Nous étions dans le même peloton. Il était
un garçon , gentil, discret autant que je m’en
souvienne, mais ce n’était qu’une apparence, car la suite nous démontra qu’il
savait être fort face au danger, avec en plus un esprit de camaraderie à toute
épreuve.
Il sut se
plier à la discipline rigoureuse qui nous était imposée par des cadres
exigeants. A Guéret, au retour de manœuvres ou de simples exercices ou de
séances de sport, il n’était pas question d’aller délasser son corps sous une bonne
douche bien chaude…il n’y en avait pas.
La seule eau dont nous disposions provenait d’un robinet d’eau froide.
Edmond
sut toujours surmonter les fatigues qui découlaient
des exercices épuisants que nous pratiquions nuit et jour. Il sut aider ses camarades moins aptes que lui à subir un tel
régime.
C’était
là des qualités qui allaient s’affirmer dans les mois qui suivirent.
Trois semaines après notre
incorporation intervint le débarquement allié en Normandie. Nous étions le 6
juin 1944. Nous l’attendions tous ce jour J. Qu’allions nous faire ? Ce
que nous fîmes fut très simple, l’Ecole dans son entier, à l’exception de
quelques officiers d’Etat-major dont le Chef de corps, entraînée par ses
officiers et sous-officiers d’encadrement rejoignit la Résistance. Depuis
longtemps nombre d’entre eux avaient des contact avec
elle.
Donc, le 7 juin, les élèves-gardes se joignirent aux forces du maquis pour
chasser l’ennemi occupant Guéret. La bataille fut rude pour les jeunes recrues
que nous étions…songez …3 semaines d’instruction seulement ! et en face de nous ce n’était pas des enfants de chœur.
Guéret fut libéré…pas pour longtemps car les Allemands, contre attaquèrent en
force dans les jours qui suivirent. L’Ecole dû se
replier dans le maquis les 8, 9 et 10 juin.
Notre
escadron trouva refuge à Pierrefitte dans les
environs immédiats de Janaillat à une trentaine de
kilomètres de Guéret. La nuit du 10 au 11 juin fut calme ce qui nous permit de
nous détendre un peu après avoir subi des mitraillages et des bombardements
aériens incessants alors que nous nous replions. Il faisait chaud et nous
transportions notre barda dans un sac très lourd. De plus nous étions revêtus
d’une lourde veste de cuir et nos jambes étaient enserrées dans des houseaux,
eux aussi de cuir. Nous étions épuisés, abasourdis mais nous conservions un
moral de fer malgré notre jeune âge.
Le 11 juin au matin, bien a l’abri sous la feuillée, ayant reçu l’ordre de ne pas nous dévoiler au cas ou des blindés allemands
feraient une incursion sur les routes environnantes, nous vaquions à diverses
occupations. Les uns étaient proposés à la garde des prisonniers, nous en
avions une vingtaine, d’autres assuraient des missions d’observation ou de
liaisons, d’autres astiquaient leur armement etc…
quand, soudain, des blindés ennemis passèrent sur la petite route qui bordait
le bois dans lequel nous étions. Dans un premier temps la consigne de silence
fut respectée… jusqu’au moment où un coup de feu émanant de notre camp partit.
Le feu appelant le feu, la bataille de Janaillat
était déclenchée. Edmond Reuter y participa avec cœur, je peux vous l’assurer.
Les blindés étaient en fait des
transports de troupe blindés. Ils appartenaient, ce que nous apprîmes plus
tard, à la division SS Das Reich, régiment Der Fürher,
cette même division qui s’illustra la
veille, donc le 10 juin, en perpétrant le massacre de la population
d’Oradour-sur-Glane et l’avant-veille, en pendant une centaine d’habitants de
la ville de Tulle en guise de représailles.
Ils débarquèrent de leurs engins blindés, nous
contournèrent sur notre droite et tentèrent de couper tout repli à l’aide de
plusieurs mitrailleuses légères bien camouflées dans un champ de blé juste au
dessus de nous. Nous arrivâmes quand même à nous dégager et à nous fondre dans
les bois par petits groupes, mais que l’alerte avait été chaude….très chaude.
Notre capitaine avait été tué, un autre capitaine avait pris une balle dans la
jambe, et un de nos camarades une rafale dans le ventre. Personnellement,
chargé du F.M avec un de mes camarades André Cognard, nous décrochâmes en dernier, et au hasard des
traces trouvées et suivies dans le sous-bois, nous rejoignîmes un groupe en fin
d’après-midi.
Toutes les unités avaient éclaté. Ce groupe était
complètement disparate. Il y avait là, le Capitaine Jouan
qui appartenait à un escadron de Limoges je crois, et qui devait mourir
quelques mois plus tard à Buchenwald, le Lieutenant Doison
qui avait pris l’affaire en main et tentait de faire le point, Robert Parelon, le fils de la ferme où nous campions et qui
s’était joint à nous ( il avait l’avantage de
connaître parfaitement les lieux), ainsi que quelques autres gradés et
camarades, dont Edmond Reuter et…toujours quelques prisonniers allemands.
Alors que tout paraissait calme et que
chacun cherchait à récupérer, soudain, des rafales d’armes automatiques
crépitèrent. Des hurlements et vociférations emplirent le sous-bois, et une
nuée de SS se jeta sur nous. Nos prisonniers se faisaient reconnaître par leurs
amis qui venaient les délivrer. Quelques uns des nôtres, placés à l’arrière du
dispositif purent plonger dans une déclivité naturelle du terrain et
s’échapper, mais 22 d’entre nous dont Edmond Reuter et moi même furent faits prisonniers. Que faire lorsqu’on se retrouve
brusquement avec une mitraillette sur le ventre et que vous êtes allongés sur
le dos ?
Le combat fut bref, il n’y en eut
même pas de notre part car nous étions pris totalement au dépourvu. Quid des
sentinelles ?…car il y en avait… Aujourd’hui je me pose encore la question.
Rassemblés sans aménité par les SS,
chargés de tout notre barda, les armes placées dans nos couvre-pieds, nous
fûmes emmenés solidement encadrés jusqu ‘aux véhicules blindés et
transportés ainsi jusqu’à Limoges dans une cour de caserne je pense, où nous
passâmes la nuit du 11 au 12 juin.
Le 12, après un bref interrogatoire dans lequel nous
n’avions pas grand chose à révéler, nous fûmes amener au stand de tir et
alignés contre un mur en briques avec d’autres résistants. C’est en ce lieu qu’ il nous fut annoncé par un Officier SS, que nous allions
être fusillés séance tenante.
Figés au garde à vous… dans le
silence le plus total, avec une très
grande dignité je vous l’assure, nos pensées allant vers ceux que nous aimions,
du moins c’était mon cas donc probablement aussi celui de mes camarades, nous
attendions que l’ordre fatal intervint…C’est alors qu’un sous-officier allemand
se présenta à l’officier SS. Il lui
parla assez longuement en aparté…Dieu que ce dialogue me parut
long !…Lorsqu’il prit fin, l’officier SS se retourna vers nous, et nous
annonça sur le ton rogue habituel adopté par cette engeance, que compte tenu de
ce que nous avions bien traité nos prisonniers, nous ne serions pas fusillés…Le
sous-officier allemand était effectivement un de nos prisonniers. Il parlait
parfaitement le français d ‘ailleurs.
Nous revenions de loin…mais nos
malheurs ne faisaient que commencer.
Chargés dans des camions, les SS efficacement
secondés par les miliciens, nous amenèrent
à Poitiers, à la gestapo. Regroupés dans la cour de l’immeuble qui en
fait était un hôtel, nous étions entassés, voire encastrés les uns dans les
autres (nous étions là 3 ou 400 résistants de tous bords). Nous étions entourés
sur trois côtés d’un haut mur et en face , à la
fenêtre du premier étage de l’immeuble un fusil mitrailleur avait été installé.
Il était servi alternativement par un SS et un milicien. Toute évasion était
impossible et nous n’avions ni mangé ni bu depuis 48 heures. Nous avions le
temps de nous interroger sur notre destin…Edmond Reuter était à deux pas de
moi, fatigué comme tout le monde mais d’un calme à toute épreuve. En lui, nous
pouvions puiser un peu de courage au cas où il nous en aurait manqué.
C’est alors que vers une heure du
matin les sirènes retentirent et, aussitôt, le ciel fut envahi par des avions
alliés. Des fusées éclairantes illuminèrent la nuit et les bombes commencèrent
à tombées tout autour de nous. Un mouvement de panique se produisit chez les
prisonniers que nous étions et nous tentâmes de nous lever. C’est alors que, SS
et miliciens déclenchèrent le feu sur nous et nous lancèrent des grenades afin
de ramener le calme. Au petit matin, nous devions dénombrer plusieurs morts et
blessés. Parmi les élèves gardes nous déplorions la perte de Gaillard tué de
deux balles dans la poitrine. J’avais dormi le restant de la nuit sur ses
jambes, sans me rendre compte qu’il avait été tué. Un des nôtres fut blessé par
des éclats de grenade, il s’agissait de Elie Kloeckner.
Le lendemain, de Poitiers nous fûmes
transportés par camion jusqu’au camp d’internement de Compiègne, qui était une
véritable plaque tournante pour la déportation, un centre de tri en quelque
sorte. Nous y restâmes jusqu'au 17 août date de notre départ pour l’Allemagne.
Le voyage dura quatre jours et
quatre nuits. Ce fut infernal. Nous étions entassés dans des wagons à bestiaux
à 80, 100, voir 120 par wagons. Là encore encastrés les uns dans les autres. La
chaleur était étouffante, les hommes devenaient fous. Rien à boire
, rien à manger.
Lisez
donc ce récit que j’ ai fait le jour de l’inauguration
de le stèle au pied de laquelle vous vous êtes recueillis cet été.
LE
DERNIER TRAIN PART DU CARREFOUR BELLICART DE COMPIEGNE A BUCHENWALD
L'inauguration de La Stèle du Carrefour Bellicart,
commémorant le dernier train parti de compiègne en
1944 fut l'occasion pour Pierre Bur de rappeler ce
que fut ce ''transport'' à destination de Buchenwald.
Ecoutons-le :
''Nous sommes le 17 Août 1944. Une chaleur étouffance
tombe sur Compiègne. Au camp d'internement de Royallieu,
1250 hommes qui si l'on excepte quelques trafiquants de marché noir et autres
truands, ont osé dire Non à l'Allemagne nazie, 1250 hommes sont rassemblés sur
la place d'appel.
Immédiatement regroupés au Camp C et nantis
de quelques nourritures, ils sont embarqués dans des camions. Un convoi
s'ébranle en direction du carrefour Bellicart où
l'attend un train de wagons à bestiaux. Ces sinistres wagons qui, tout à
l'heure, tels des cercueils renfermeront à jamais leurs illusions et leurs
rêves de liberté.
Huit chevaux, 40 hommes ! Il n'y aura pas de chevaux, et les hommes ne seront
pas quarante par wagon mais bien 80, 100, 110 voire 120 entassés comme des
bestiaux. Un bruit de chaîne et de ferraille leur indique très vite que les portes
sont bouclées comme celle d'un tombeau.
La nuit tombe, pas un souffle d'air ne vient apporter le moindre soulagement
aux prisonniers qui s'organisent comme ils peuvent dans leur nouvelle cellule
autour d'un bidon destiné à servir de tinette.
Les effluves émanant des corps en sueur se mêlant à la lourdeur d'air, d'entrée
l'atmosphère est irrespirable. On entend déjà ici et là quelques vociférations
doublées de gémissements émanant des vieillards et des malades qui déjà,
réclament à boire, car vous vous en doutez bien, pas la moindre goutte d'eau
n'a été embarquée dans ces wagons infernaux. La nuit s'écoule lentement...
lentement, et la fraîcheur tant espérée ne tombe toujours pas sur le convoi
immobilisé.
Au petit matin, enfin il s'ébranle. Un air
bienfaisant pénétre par le vasistas grillagés de fils
de fer barbelés. L'espoir renaît... pas pour longtemps
car à la fraîcheur matinale succède bientôt l'étuve. Au fils des kilomètres,
les tinettes se remplissent. Vociférations et gémissements redoublent, des
bagarres se déchaînent, il arrive même que des couteaux initialement camouflés
pour déclouer une planche de wagon dans un but d'évasion servent
à faire respecter la loi de la jungle qui petit à petit s'instaure.
Au dessus de nos têtes, très haut dans le ciel, les ronronnements des avions
nous donnent à penser que la délivrance n'est peu être pas éloignée. Au passage
d'une gare, une femme nous crie ''Vous n'atteindrez pas l'Allemagne, un accord
est intervenu !...'' et cependant le train roule... roule...roule toujours vers
l'Est.
A Vic-sur-Aisne et Soissons chefs de gare et infirmières de la Croix-Rouge
tente de retenir le train mais en vain, un fou furieux commande le convoi comme
disait Jacques Vigny. A quelques kilomètres de Reims survint un arrêt brutal,
il se murmure que des patriotes ont fait sauter la voie. Ah ! Braves patriotes
! Vous avez risqué votre peau pour sauver la nôtre et pourtant si nous vous
avons béni, nous vous avons aussi maudit car votre action n'a fait qu'ajouter à
notre supplice déjà trop long.
Dans les wagons maintenant les tinettes débordent. Des fous hurlent des propos
incohérents. Certains lèchent la sueur qui coule du dos de leur voisin
immédiat. Ici un homme promet sa fortune pour un peu d'eau, là, un autre appuyé
sur le bord du bidon, déclame des vers ! Des malades sont étouffés dans la
cohue, leurs cadaves sont entassés dans un coin...
Ouf ! il y a maintenant un peu plus de place...
A la nuit tombant des coups de feu retentissent... Le train s'arrête une
nouvelle fois. C'est une évasion. Les schupos s'élancent dans la campagne avec
leurs chiens policiers. Plusieurs évadés sont repris et abattus. Cinq détenus
choisis parmi les plus jeunes sont contraints de creuser leur tombe dans une
excavation de bombe, et sont abattus froidement d'une balle dans la tête en
guise de représailles. Leurs codétenus sont sortis de leur wagon et répartis
dans les autres, ce qui fait que certains sont bourrés à 120 voire 130
déportés.
Et nous continuons d'errer sur les voies
françaises, Reims, Chalons-sur-Marne, Pagny-sur-Meuse, Toul, marquent notre passage. Ces détours
auraient pu nous sauver, en fait, ils prolongent notre calvaire, et lorsque
nous atteignons le territoire Allemand tout espoir d'évasion s'évanouit.
A Homburg nos geôliers consentent à nous distribuer
quelques nourritures liquides et un peu d'eau. Nos langues gonflées et râpeuses
reprennent à nouveau forme pour quelque temps et nous pouvons saliver à
nouveau.
A partir de ce moment, le train circule plus vite. En 24 heures nous traversons
la moitié de l'Allemagne et après Weimar c'est la monté sur Buchenwald. Voila
déjà quatre longs jours que nous étouffons dans nos cages, quatre longs jours
que nous vivons des scènes plus atroces les unes que les autres, que nous
pataugeons dans nos excréments qui se mêlent au maltrofruit
de la Croix Rouge, que nous côtoyons les cadavres et des fous... Mais ne le
sommes nous pas tous plus ou moins ? Et voilà maintenant que ce train
diabolique n'en finit pas d'arriver, et qu'il chemine de plus en plus lentement
sous un soleil de plus en plus implacable, sans que la moindre brise puisse
atténuer la pesanteur de ses rayons. Ici et là de nombreux cas d'étouffement se
manifestent, la situation est horrible.
Notre train stoppe. C'est l'arrivée, mais durant de longues, très longues
heures, les portes restent solidement cadenassées.
Francois Michaut rapporte
cette scène dans son livre : '' Esclavage pour une Résurrection'' :
''Avisant sur le quai un officier SS je lui crie en allemand ''faites apporter
de l'eau, plusieurs de mes camarades vont mourir !'''' - Qu'ils crèvent ! fut sa réponse.''
C'est hélas ce qu'il advint à beaucoup puisqu'à l'ouverture des portes une
soixantaine de cadavres est dénombrée, le reste relève plus de
l'hospitalisation d'urgence que du camp de concentration qui est là, devant
nous, avec cette inscription désormais célèbre sur son portail :
''JEDEM DAS SEINE''
(A chacun son dû)
Notre du a été pour d'aucun la mine de sel de Stassfurt, pour d'autres des
usines d'armement et pour d'autres encore la vie atroce du camp de
concentration de Buchenwald, avec ses usines et sa carrière qui avalait
littéralement les hommes. Nous rentrions alors dans ce terrible ''détail de
l'histoire'' et une autre page de la déportation allait s'inscrire à partir de
ce moment précis.
Notre convoi, il faut le préciser, malgré son horreur, n'a pas été le plus
terrible, n'oublions pas ''le train de la mort'' du 2 juillet précédent ; mais
il a été le dernier qui a quitté Compiègne, et en çà il est un symbole...
Buchenwald
! Forêt de hêtres ! Il paraît que Goethe venait se reposer en ce lieu lorsqu'il
était las du monde. C'était alors un havre de paix. Qu'a t'il pu penser ce
poète, lui aussi du haut de son nuage, de ce camp de la mort lente oeuvre de ses
compatriotes ? Il englobait justement son arbre, son chêne favori sous lequel
il venait méditer. Pourtant, Buchenwald ''Ce n'est pas matières à littérature''
écrivait Le Général de Jussieu-Poncarral en préfaçant
le livre d'Edouard et François Michaud ''Esclavage pour une Résurrection''.
Devons nous y voir une autre ironie de l'histoire ?
Ma première vision de Buchenwald fut un immense tas de galoches que j'aperçus à
l'entrée du camp. Ma première sensation, une odeur de cramé, de chair brûlée
qui provenait d'un batiment sis à proximité. Une
fumée s'échappait de sa cheminée en volutes noirâtres et assombrissait le ciel
bleu de ce mois d'août. Ou étions nous ? Un
crématoire, des galoches sans propriétaires ? Le rapprochement fut vite fait,
d'autant plus que de pauvres hères maigres à faire peur, habilés
de tenues rayées, nous contemplaient, nous les nouveaux arrivants, avec des
yeux d'envie.
Un vaste camp se présentait alors à nous. Un camp ceint d'une double rangée de
barbelés que l'on devinait électrifiés surmontés de miradors. Une grande place
qui se révéla être la place d'appel, et des baraques peintes en vert sombre
couvertes d'un toit noir, le tout bien aligné en plusieurs rangées. Au fond à
droite, un bâtiment construit en dur. C'était le bâtiment administratif ou on
nous conduisit plus tard pour les formalités.
Nous marchions comme des somnambules en traversant ce camp
encore fragiles sur nos jambes ankylosées après avoir passé quatre jours,
accroupis dans ces wagons-tombeaux.
Nous n'avions toujours pas bu la moindre goutte d'eau et... ô miracle, devant
nous étaient disposés d'immenses baquets remplis d'eau. Ce fut une ruée.
Imaginez plus de mille détenus se jetant tête la première dans ces baquets.
Lorsque je pus enfin à mon tour, tremper ma tête dans cette eau bienfaitrice,
j'eu l'impression d'en boire une dizaine de litres. Elle était souillée, c'est
vrai, mais qu'importait... je buvais, je me rassasiais, j'hydratais mon corps
qui me semblait sec comme un tronc noueux. Un délice !!!.
Par la suite j'ai connu la faim, mais rien n'est plus terrible que la soif.
Elle rend fou.
Un autre bien être nous attendait. C'était si rare. Une douche ! Dépouillés de
tout y compris de nos bijoux, portefeuilles, papier etc...
nus comme des vers nous fûmes introduits dans une
immense salle, au plafond de laquelle pendaient des pommes de douches. Non ce
n'était pas du gaz qui s'en échappait, comme à Auschwitz dont nous ignorions
tout à l'époque, mais d'une eau bien chaude, revigorante qui elle aussi
hydratait nos corps par l'extérieur. Nous étions au paradis. Cela ne dura pas !
Rassemblés d'une manière un peu rude par les kapos et sous la direction d'un
grand escogriffe ne parlant qu'allemand, nous fûmes alignés dehors. Alors,
commence ça et là, une nouvelle ''cérémonie''. Muni d'une tondeuse électrique,
des détenus polonais nous tondirent du haut en bas. Aisselles, pubis, bras,
jambes et tête, plus un poil ne subsistait. Pour finir le travail, un autre
détenu, armé d'un gros pinceau qu'il trempait régulièrement dans un seau de
crésyl le passait sur toute les parties intimes des
corps qui se présentaient à lui. Je vous laisse imaginer les brûlures qui s'en
suivaient. Notre moment de bien être prenait déjà fin.
Toujours nus après cette séance, on nous distribua alors des vêtements... Tout
était en vrac. Au fur et à mesure que nous passions nous recevions un pantalon,
une chemise et en ce qui me concerne un genre d'imperméable délavé, troué peint
dans le dos d'une croix marron-jaune. Pas de
ceinture, pas de chaussures, pas de chaussettes.
Nous étions transformés en clochards. Tondus, de plus certaines personnes âgées
n'avaient pas récupéré leur dentier, pieds nus, vêtus de bric et de broc,
clochardisés, le tableau déclencha chez nous lorsque nous nous contemplions
ainsi accoutrés une hilarité générale. Ce n'est sûrement pas la réaction
qu'attendaient nos bourreaux !
Ce n'est que la nuit venue qu'on nous conduisit sur notre futur lieu de
séjour... toujours pieds nus nous marchions sur des silex.
Le camp était archi plein, aussi nous n'eûmes pas droit à un logement en
baraque. Non, ce qui nous attendait était un terre plein légèrement pentu
constitué de terre, de déchets et me dira-t-on plus tard de cendres du
crématoire. La première nuit fut douce mais les suivantes humides voire
pluvieuses. Des baquets où nous devions faire nos besoins avaient été disposés
sur le bord supérieur de la pente, ce qui fit que lorsqu'ils furent pleins, ils
débordèrent et nous couchions ainsi dans les excréments. Il y avait bien des WC
collectifs mais ils nous étaient interdits dans un premier temps. Ce n'est que
deux jours plus tard que nous fûmes autorisés à y accéder. Imaginez une fosse
de deux mètres de profondeur, longue de plus de cent mètres comportant deux
barres, une pour s'asseoir, une pour s'adosser. En ce lieu, dans lequel nous
finîmes par nous réfugier la nuit pour nous abriter des intempéries, il se
passait des choses horribles. Je vous ai dit que parmi nous il n'y avait pas
que des résistants mais aussi des truands et des gestapistes rejetés par leurs
maîtres. C'est dans ces ''chiottes'' que se réglaient les comptes. J'ai
personnellement assisté à l'un d'entre eux. Des résistants ayant reconnu un de
leurs tortionnaires, ils l'exécutèrent à coups de pelle et balancèrent son
corps dans la fosse. Mais alors direz-vous, il manquait un détenu à l'appel,
car on devait bien vous compter ? Tous les jours et même deux fois par jour et
dans des conditions qui frisaient l'inhumain.
''Appel ist appel !'' L'appel c'est l'appel ! aux yeux de nos gardiens, qui hurlaient sans cesse ces trois
mots, c'était sacré.
Deux fois par jour, nous montions sur la place d'appel. Nous nous alignions colonnes par cinq et par baraque (nous, nous
étions à part puisque nous couchions dehors) et un SS comptait les rangs et les
colonnes. Nous étions des milliers et des milliers ! Tant qu'il n'avait pas
trouvé son compte il recommençait... ce qui était presque impossible compte
tenu des morts et des malades. Comment il s'arrangeait ? je
l'ignore, mais le cirque durait parfois des heures. Pas trop à l'appel du matin
car il y avait le travail, mais le soir cela pouvait se prolonger une partie de
la nuit. Les détenus que nous étions devaient rester debout, au garde à vous
jusqu'au bon vouloir du SS. Aussi pour abréger ce type de souffrances il
arrivait que les détenus valides montent les morts de la nuit ou de la journée
sur la place d'appel. Quand à celui qui gisait au fond de la fosse, j'ignore
comment il a pu être comptabilisé. Du lieu d'où je vous parle je ne le sais toujours
pas !
La nourriture à Buchenwald était loin d'être abondante mais nous devions
connaître le pire par la suite. Je me souviens de la première soupe qui nous
fut distribuée. Elle était merveilleuse. Un litre de soupe épaisse faite
d'orge. Sa couleur violette m'intriguait un peu mais ce fut un délice. Elle
cala bien mon estomac qui n'avait presque rien absorbé depuis plusieurs jours.
Par la suite elle fut plus légère et accompagné d'un bout de pain noir, ce qui
était loin de calmer notre faim... il fallait faire avec.
En principe étant en quarantaine, nous ne devions pas travailler, ce qui
n'empêchait pas chaque matin après l'appel, quelques kapos de venir recruter de
la main d'oeuvre parmi nous, pour différentes corvées ou travailler à la
carrière.
J'y ai travaillé quelques jours dans cette carrière durant les trois semaines
que nous avons séjourné au camp. Le travail consistait, en ce qui me
concernait, à porter une grosse pierre sur mon épaule (gare si le kapo la
trouvait trop petite) d'un point à un autre. Les gros blocs étaient transportés
à bout de bras à l'aide de madriers sur lesquels nous les disposions. Il
arrivait que le chargement mal équilibré tombe... Il s'en suivait une volée de
coups sur nos dos d'autant plus fourbus qu’ils n’étaient absolument pas
habitués à de tels efforts. Je n'étais qu'un enseignant et non pas carrier.
Je ne peux pas vous raconter Buchenwald au mois d'août 1944 sans vous parler du
bombardement allié. C'était le 24 août si mes souvenirs de l'au de là se
révèlent exacts.
Les sirènes du camp retentirent. Ce n'était pas la première fois et cela était
du genre à nous réjouir. Qu'est-ce qu'ils allaient prendre !!! Oui da, mais
c'est sur nous que les bombes se mirent à pleuvoir. Le camp n'était pas visé
directement, leur objectif était l'usine d'armement qui le jouxtait ainsi que
les casernements SS. Mais les dégâts collatéraux dirions nous aujourd'hui, cela
existait déjà en ce temps là. Il y eut des morts, beaucoup de morts, et du côté
des déportés, ce qui nous attristait, et du côté SS ce qui nous réjouissait. Je
n'ai jamais entendu quelqu'un se révolter contre ce bombardement. C'était le
prix du sang à payer pour la liberté, nous le savions.
Durant les jours qui suivirent cet évènement la vie du camp fut complètement
désorganisée. Certains en bénéficièrent, ceux qui furent réquisitionnés pour
aller déblayer les décombres des casernes SS. Ils en profitèrent pour ce
restaurer à bon compte en pillant les cuisines encore en état et eurent la joie
de transporter les cadavres de nos gardiens au crématoire. Replacez vous dans
le contexte avant de juger. Ceux qui faisaient mourir, mourraient à leur tour
et les victimes enterraient les bourreaux. C'était ça et rien d'autre.
Par contre, nous les occupants du tas d'ordure, nous eûmes à en pâtir. Il n'y
avait plus une seule goutte d'eau dans le camp. Passe encore de se laver,
l'avenir nous apprendra qu'on peut s'en passer, mais la soif, celle que nous
ressentions encore au fond de nos gorges et qui remontait à quelques jours
seulement, comment allions nous la pallier ?
Un genre de tonne à eau fut installée en dessous la
place d'appel, et tous les détenus devaient faire la queue pendant des heures
pour obtenir de quoi tout juste se désaltérer. Si ce n'était que çà ! Imaginez :
Notre tas d'ordures était tout au fond du camp. Pour atteindre la tonne à eau,
il nous fallait franchir un premier réseau de barbelés interne qui nous
séparait du petit camp, puis un deuxième réseau du même genre qui séparait le
petit camp du grand camp, et enfin passer devant les baraques des Russes qui
nous attendaient de pied ferme sur le chemin du retour, pour nous assaillir et
nous voler le peu d'eau récoltée. Il s'en suivait des bagarres allant jusqu'à
mort d'homme. Ajoutez à cela la présence de jeunes gitans, livrés à eux mêmes
du fait du bombardement, qui s'étaient répandus dans le camp et qui fauchaient
toute nourriture à portée de leurs mains. Eux aussi
cherchaient à survivre, même si ce devait être au détriment d'autres déportés,
en l'occurrence nous. Nous vivions dans un monde surréaliste et commencions à
nous affûter pour faire face à ce qui nous attendait et que nous ignorions
encore. Nous retrouvions la loi de la jungle que nous avions découvert
dans le train.
A ce tableau sinistre je dois quand même ajouter une note optimiste. Une
légende courrait dans le camp. Tout le monde connaissait l'arbre de Goethe et
il était dit que le jour où il serait détruit, l'Allemagne serait détruite...
et au cours du bombardement il fut touché et brûla. Je suis allé le voir avec
quelques camarades. Quelle joie malgré nos malheurs accumulés, même si ce
n'était qu'une légende, nous voulions y croire !
Ô Goethe, si je te rencontre au coin d'un nuage je te parlerai de mes émotions
ressenties sous ton arbre.
Ma vie a Buchenwald se poursuit encore pendant deux
semaines.
Bien
cordialement Pierre BUR